Vous le voyez partout, impossible de passer à côté en cette rentrée littéraire et vous n'y échapperez pas non plus ici !!!
Cela fait un moment que je trépigne d'excitation à l'annonce d'un nouveau roman de Carrère, avant même tout ce raffut "Le royaume" était une priorité sur ma LAL, j'aime cet auteur depuis "D'autres vies que la mienne" et "Limonov" ... lui et moi, c'est du sérieux !
Il est brillant et érudit tout en étant accessible et parfois touchant, c'est un auteur qui se pose beaucoup de questions, un curieux de comment tourne ce monde et ça j'adore, parce que moi aussi j'aimerais bien comprendre !
Avec Le royaume, Carrère s'attaque à du lourd, sujet limite tabou pour certains, la croyance, c'est sacrée ! Sujet hyper sensible pour d'autres, on touche quand même aux traditions ancestrales et profondes ! Sujet méga sérieux pour beaucoup parce qu'on ne plaisante pas avec la religion !
Et voilà donc, le brillant Carrère qui jette LE pavé dans la mare sans provocation ni sarcasme, mais en posant la question qui fâche : Comment des gens intelligents, cultivés et sensés peuvent encore croire aujourd'hui à cette rumeur qui court depuis plus de 2000 ans et qui dit Jésus serait le fils de Dieu ?! Un type qui serait ressuscité d'entre les morts, et qui serait né d'une mère vierge ... non mais qui croirait à ce genre de rumeur aujourd'hui ?!!!
Après toute une première partie qui relève de l'autofiction, dans laquelle Emmanuel Carrère nous parle des doutes et des croyances qui l'ont amené à écrire ce roman, nous entrons dans le vif du sujet qui relève cette fois de l'enquête, et dans laquelle il va confronter les différents évangiles et raconter ainsi la naissance du Christianisme.
On apprend énormément de choses d'un point de vue historique et théologique, d'autant que Carrère y apporte son propre son de choche, pertinent et érudit. Il y est surtout question de Paul et un peu de Luc, deux personnages cultivés et instruits qui ont eu un rôle déterminants dans la naissance du Christianisme.
La démarche de l'auteur est fascinante et le roman très ambitieux, ça manque parfois de fluidité, on peut déplorer quelques longueurs et lourdeurs mais Carrère a le mérite de s'attaquer à un sujet passionnant en confrontant les pensées de grands historiens et de grands intellectuels tout est restant dans le ton du roman, c'est un travail d'équilibriste parfaitement maitrisé et très audacieux, et un très beau cadeau pour le lecteur qui aime réflechir un peu .
Mon petit bémol est de ressortir de ce roman avec tout de même l'impression qu'il n'aura pas vraiment répondu à LA question de départ ... mais peut-être touchons nous là à quelque chose qui s'appellerait la foi, et qui reste un mystère total au final !
Le mot de l'éditeur :
Le Royaume raconte l’histoire des débuts de la chrétienté, vers la fin du Ier siècle après Jésus Christ. Il raconte comment deux hommes, essentiellement, Paul et Luc, ont transformé une petite secte juive refermée autour de son prédicateur crucifié sous l’empereur Tibère et qu’elle affirmait être le messie, en une religion qui en trois siècles a miné l’Empire romain puis conquis le monde et concerne aujourd’hui encore le quart de l’humanité.
Cette histoire, portée par Emmanuel Carrère, devient une fresque où se recrée le monde méditerranéen d’alors, agité de soubresauts politiques et religieux intenses sous le couvercle trompeur de la pax romana. C’est une évocation tumultueuse, pleine de rebondissements et de péripéties, de personnages hauts en couleur.
Mais Le Royaume c’est aussi, habilement tissée dans la trame historique, une méditation sur ce que c’est que le christianisme, en quoi il nous interroge encore aujourd’hui, en quoi il nous concerne, croyants ou incroyants, comment l’invraisemblable renversement des valeurs qu’il propose (les premiers seront les derniers, etc.) a pu connaître ce succès puis cette postérité. Ce qu’il faut savoir aussi, c’est que cette réflexion est constamment menée dans le respect et une certaine forme d’amitié pour les acteurs de cette étonnante histoire, acteurs passés, acteurs présents, et que cela lui donne une dimension profondément humaine.
Respect, amitié qu’Emmanuel Carrère dit aussi éprouver pour celui qu’il a été, lui, il y a quelque temps. Car, comme toujours dans chacun de ses livres, depuis L’Adversaire, l’engagement de l’auteur dans ce qu’il raconte est entier. Pendant trois ans, il y a 25 ans, Emmanuel Carrère a été un chrétien fervent, catholique pratiquant, on pourrait presque dire : avec excès. Il raconte aussi, en arrière-plan de la grande Histoire, son histoire à lui, les tourments qu’il traversait alors et comment la religion fut un temps un havre, ou une fuite. Et si, aujourd’hui, il n’est plus croyant, il garde la volonté d’interroger cette croyance, d’enquêter sur ce qu’il fut, ne s’épargnant pas, ne cachant rien de qui il est, avec cette brutale franchise, cette totale absence d’autocensure qu’on lui connaît.
Il faut aussi évoquer la manière si particulière qu’a Emmanuel Carrère d’écrire cette histoire. D’abord l’abondance et la qualité de la documentation qui en font un livre où on apprend des choses, beaucoup de choses. Ensuite, cette tonalité si particulière qui, s’appuyant sur la fluidité d’une écriture certaine, passe dans un même mouvement de la familiarité à la gravité, ne se prive d’aucun ressort ni d’aucun registre, pouvant ainsi mêler la réflexion sur le point de vue de Luc au souvenir d’une vidéo porno, l’évocation de la crise mystique qu’a connu l’auteur et les problèmes de gardes de ses enfants (avec, il faut dire, une baby-sitter américaine familière de Philip K. Dick…).
Le Royaume est un livre ample, drôle et grave, mouvementé et intérieur, érudit et trivial, total.