Ils ne sont pas si nombreux les lecteurs bienveillants de Beigbeder ! Alors forcément, quand j'en croise un, j'ai tendance à prendre son avis en considération .
C'est donc en lisant l'avis enthousiaste de Mind the Gap, que la tentation de lire Oona et Salinger m'est venue !! Alors merci encore Pat, parce que sans toi je passais à côté !
Qu'on aime ou non Beigbeder, on doit tout de même lui reconnaître une griffe, un style qui lui est propre. Ses romans ne pourraient pas être écrit par quelqu'un d'autre et on ne peut pas en dire autant de tous les livres (je ne citerai personne mais j'ai une liste à disposition !).
Si dans Oona et Salinger, il y est un peu question de lui, de sa manière désenchantée et parfois mélancolique de voir les choses, il y est surtout question de Oona O'Neill, fille du dramaturge Eugène O'Neill et de Jerry Salinger. Et on pourrait même dire que Beigbeder se fait plutôt discret, j'y ai perçu une marque de grand respect pour ses personnages, on sent qu'il les aime et ça en est extrêmement touchant.
Beigbeder part d'un fait réel, la rencontre amoureuse entre la jeune fille et le tout jeune écrivain en 1940.
Cette brève histoire d'amour, qui n'occupe que quelques lignes dans certaines biographies de l'un et de l'autre, va être pour le romantique Beigbeder l'occasion d'une formidable fabulation, il va réinventer la réalité (n'est ce pas tout ce que l'on demande à un écrivain ?), s'emparer d'une vérité que personne ne connait (pourquoi Salinger s'est retiré du monde et n'a plus rien écrit après L'attrappe-coeurs), et réécrire l'histoire d'Oona et Salinger (et si ça ce n'est pas un formidable exercice de fiction !!!).
Ce roman est intelligemment construit, ponctué de ces petites anecdotes qui rendent les mythes un peu humain, j'ai particulièrement aimé les pages sur Chaplin, Hemingway ou Truman Capote, et puis il y a aussi et surtout son regard empli d'admiration sur Salinger, auquel Beigbeder voue une admiration totale, l'analyse de son unique chef d'oeuvre et les sentiments qu'il prête au jeune écrivain américain m'ont presque fait regretter de ne pas avoir aimé L'attrape-cœurs (c'est dire !!!).
Roman plein de modestie et de respect d'un auteur pour un autre auteur, parce qu'il est touchant Beigbeder sous ses airs un peu "people" branché, on sent le type qui ne s'aime pas beaucoup, se fait peu d'illusion et se sert de l'humour et de la dérision comme d'un garde-fou, et ça j'aime beaucoup.
C'est un roman sur le chagrin, l'amour déçu et perdu, oui qu'on se le dise Beigbeder est un auteur romantique !
Il a trouvé des personnages absolument sublimes d'un point de vue romanesque, et il les met en scène en rendant parfaitement l'atmosphère de cette époque tourmentée et en même temps pleine d'énergie. Il aurait vraiment été dommage que personne n'écrive de roman sur Oona O'Neill - Chaplin, et je trouve que Beigbeder, qui soyons clair en est raide dingue, l'immortalise magnifiquement ici.
Après qu'est ce qui est vrai ? Qu'est ce qui ne l'est pas ?
Je revendique haut et fort faire partie de l'espèce fabulatrice, et la seule vérité qui m'intéresse dans un roman, est celle de l'auteur.
Beigbeder démarre son préambule en précisant que c'est un roman de pure "faction", tout y est rigoureusement exact : les personnages, les dates, les lieux et les faits. Le reste est imaginaire. Et il termine ce préambule ainsi :
"Les personnages de ce livre ayant eu des vies très secrètes, la place du romancier en fut augmentée d'autant. Mais je tiens à proclamer solennellement ceci : si cette histoire n'était pas vraie, je serais extrêment déçu."
Ce passage, à lui seul, m'aurait convaincue de lire Oona et Salinger !