On lit différemment L'Etranger d'Albert Camus selon que nous soyons français, algérien ou américain d'après Kamel Daoud, et bien que ne m'étant jamais posée la question et puisque lui la pose, je suis assez d'accord avec ça .
Il sera forcément question de L'Etranger dans ce billet puisque Kamel Daoud nous offre un sorte de relecture du chef d'oeuvre de Camus, et ça j'aime beaucoup, ces romans qui prennent comme personnage central un autre roman, une œuvre du patrimoine culturel, ancré dans notre mémoire collective.
Meursault contre-enquête se présente tel un monologue, sorte de constat désenchanté d'un homme sur son pays. L'idée est absolument magnifique, K.Daoud donne la parole au frère de l'Arabe tué par Meursault dans L'Etranger, personnage secondaire pour Camus qui devient personnage principal de Daoud. Si le procédé n'est pas nouveau, il me plait néanmoins toujours autant.
Ce roman sorti il y a un an en Algérie et en avril dernier en France, était passé totalement inaperçu avant que le Goncourt ne lui offre une magnifique vitrine, et depuis c'est le consensus général, tout le monde s'accorde pour dire que c'est un roman formidable.
Alors désolée de gâcher un peu l'ambiance mais je serai beaucoup plus réservée sur ce roman.
D'accord l'idée est géniale, d'accord K.Daoud a compris que la langue peut-être une arme redoutable et il s'en sert parfaitement d'ailleurs, oui, oui, d'accord sauf que :
Meursault a tué l'Arabe il y a 68 ans, et forcément si Daoud veut donner de la cohérence à sa contre-enquête il faut donc inscrire son histoire à cette époque, seulement entre l'Algérie du temps de Camus et celle du temps de Daoud, il y a un monde, et ce monde ne peut être raconté en 250 pages, on sent que l'auteur a des choses à dire, un regard aussi sévère qu'il est lucide sur son pays mais à trop vouloir en dire, le discours en devient décousu, parfois répétitif, on semble tourner en rond comme si l'auteur ne savait plus par quel bout prendre les choses, et le monologue perd ainsi de sa puissance et de son émotion, et je ne parle pas du souffle romanesque noyé dans la complainte.
Et puis il y a Camus !
Le titre même du roman prend le parti de mettre Meursault en avant et non l'Arabe, on peut donc s'attendre à ce qu'il soit question aussi de Meursault et donc de Camus.
L'Etranger fait partie des romans que j'ai le plus relu, j'aime ce déplorable constat de l'absurdité des choses, j'aime l'idée de non-sens de la vie développée par Camus, j'aime la puissance de ce roman. Et là pour le coup, j'ai un peu eu l'impression que Daoud faisait une relecture d'un roman qui n'était pas celui de Camus. C'était un peu comme ci, le procès fait à Camus était un peu un faux procés. En fait ce qui m'a gênée est de faire de L'Etranger est un roman politique alors qu'il est pour moi un roman philosophique.
Peut-être que mon attachement à L'Etranger et à l'Algérie me faisait en attendre trop, oui c'est possible ... Mais quand même .