Sorj Chalandon signe, avec son dernier roman, un récit fort sur une douloureuse page de l'Histoire.
Partant du projet fou de réunir des personnes qui s'opposent dans une guerre fratricide au Liban, pour jouer Antigone d'Anouillh au coeur du conflit, l'auteur va nous raconter un récit complexe au travers de personnages bouleversants.
Après "Le retour à Killybegs" qui nous racontait les horreurs de la guerre en Irlande entre catholique et protestant, l'auteur qui a approché ces combats de près lorsqu'il était journaliste, s'attache ici à une autre guerre de religion.
Nous sommes au Liban en 1982, alors que le massacre de Sabra et Chatila vient d'avoir lieu. Deux hommes, liés par une amitié fraternelle, vont tout tenter pour monter une pièce de théatre au milieu du chaos et ainsi montrer que la fraternité est encore possible.
Deux magnifiques personnages que ceux de Samuel et George, sublime histoire d'un rêve commun, d'un espoir passé tel un relais entre deux hommes qui refusent de se soumettre devant l'inacceptable, l'injustice et la barbarie au risque de s'y perdre eux-mêmes.
La force et la profondeur du roman m'ont saisie dès les premières pages, et pourtant il m'aura fallu un moment pour entrer totalement dans cette histoire.
L'auteur nous parle de manière précise d'une guerre civile complexe qui met en scène des communautés dont je méconnaissais l'existence. Les enjeux, les intérêts et les querelles ancestrales des uns envers les autres ne furent pas simple à suivre pour une non-initiée. J'ai parfois perdu le fil mais le sujet était trop beau alors j'ai pris le parti de me laisser porter par les mots de l'auteur quitte à ne pas tout saisir d'un conflit qui me dépasse ... et j'ai bien fait !
Je me suis d'ailleurs demandée s'il n'y avait pas une volonté de l'auteur de nous embrouiller et de nous perdre dans ce conflit comme pour souligner l'absurdité de cette guerre.
Passée la confusion, l'histoire m'a rattrapée pour ne plus me lâcher jusqu'à la fin. Sorj Chalandon nous offre une fois encore un récit bouleversant qui met en scène l'Histoire avec toujours cette plume parfaitement ajustée d'un point de vue émotionnel et intensité des faits.
Un roman que j'ai refermé un peu sonnée et auquel je donnerais volontiers ma voix pour le Prix Goncourt si on me demandait mon avis !!!
Le mot de l'éditeur :
Réfugié grec, metteur en scène, juif en secret, Sam rêvait de monter l’Antigone d’Anouilh sur un champ de bataille au Liban.
1976. Dans ce pays, des hommes en massacraient d’autres. Georges a décidé que le pays du cèdre serait son théâtre. Il a fait le voyage. Contacté les milices, les combattants, tous ceux qui s’affrontaient. Son idée ? Jouer Anouilh sur la ligne de front. Créon serait chrétien. Antigone serait palestinienne.
Hémon serait Druze. Les Chiites seraient là aussi, et les Chaldéens, et les Arméniens. Il ne demandait à tous qu’une heure de répit, une seule. Ce ne serait pas la paix, juste un instant de grâce. Un accroc dans la guerre. Un éclat de poésie et de fusils baissés. Tous ont accepté. C’était impensable. Et puis Sam est tombé malade. Sur son lit d’agonie, il a fait jurer à Georges de prendre sa suite, d’aller à Beyrouth, de rassembler les acteurs un à un, de les arracher au front et de jouer cette unique représentation.
Georges a juré à Sam, son ami, son frère.
Il avait fait du théâtre de rue, il allait faire du théâtre de ruines. C’était bouleversant, exaltant, immense, mortel, la guerre. La guerre lui a sauté à la gorge.
L’idée de Sam était folle. Et Georges l’a suivie.