UN CHAT SOUS MA FENETRE
de Sophie KOP-TERRADE
"C’est sans doute la vocation du romancier, devant cette grande page blanche de l'oubli, de faire ressurgir quelques mots à moitié effacés, comme ces icebergs perdus qui dérivent à la surface de l'océan" P. Modiano
Autant le dire tout de suite, ceci n'est pas une chronique.
Surtout pas une chronique…. plutôt une déclaration.
Parce que Marcel avait raison : "on ne devrait connaître les écrivains que par leur livres".
Mais elles ont fané depuis longtemps ces jeunes filles en fleur à l'ombre desquelles il écrivait ces mots.
Bergotte est mort, Odette et la Verdurin ont fermé salon, ils sont désormais virtuels, et se nomment Blog ou FB.
Pour le reste rien n'a vraiment changé : les bristols qu'on corne, les allégeances, les inimitiés masquées, les jalousies ridicules, les petites et grandes médisances échangées de "vous à moi" et auxquelles il faudrait répondre, si l'on avait du cœur, "si vous ne voulez pas que ce soit répété, pourquoi le dites-vous ? ".
Mais nous sommes lâches et nous nous inclinons, comme Marcel, autrefois.
Et parce que "les beautés qu'on découvre le plus tôt sont aussi celles dont on se lasse le plus vite", ma Chère Sophie, tu as claqué rageusement la porte, laissant un fauteuil trop grand pour ceux qui ont essayé de s'y asseoir.
Ah !!! Sophie, si seulement nous n'étions pas amies, j'aurais pu l'écrire cette chronique, sans crainte et sans dilemme.
Oui, mais tu le sais, tu es une amie.
Pas une amie virtuelle, pas une amie numérique, mais une amie à qui l'on peut dire, aujourd'hui comme à quinze ans, "qu'un soir j'(ai) rêvé que je m'envolais sur les ailes d'un oiseau immense, il m'(a)enlevée, loin de ce monde et de sa laideur, on volait dans les nuages de fumée grise, j'avais la nausée, j'avais froid, mais je n'avais pas peur, je savais que j'allais être libérée, soulagée du poids épuisant de la vie, légère comme la plume soyeuse de l'aigle contre ma peau frissonnante, on filait à une vitesse folle par-dessus les nuages, lui et moi, unis dans la mort, et rien ni personne n'avait le pouvoir de nous faire revenir".
Un premier roman est, plus que tout autre, autobiographique : on fait souvent ses premiers pas dans un jardin qu'on connait bien pour l'avoir arpenté à quatre pattes……… en suivant son chat noir.
Ton cher Modiano l'a proclamé au monde entier, "seule la lecture de ses livres nous fait entrer dans l'intimité d'un écrivain et c'est là qu'il est au meilleur de lui-même et qu'il nous parle à voix basse sans que sa voix soit brouillée par le moindre parasite ».
Je sais combien t'a coûtée cette toute petite phrase : "en Lorraine, on est un peu long à faire confiance mais une fois qu'on a donné notre amitié c'est pour toujours".
Tu ne te fais aucune illusion sur l'écho qu'elle pourrait avoir parce que, comme le disait Jannie "aimer tout le monde, c'est n'aimer personne".
Dans nos salons contemporains, sur nos agoras numériques, les Cœurs de Lion ne rugissent plus : ils ont laissé place au silence des hyènes.
"Si tu veux connaître le cœur de quelqu'un, observe comment il se comporte avec celui qui ne peut rien lui apporter"
La lucidité est source de bien des blessures pour celui qui observe, "les trois quart du mal des gens intelligents viennent de leur intelligence".
Tu le sais.
Et nous savons bien toutes les deux qu"une année ça passe vite, mais parfois le temps semble figé, ou faire de drôles de retours en arrière, des loopings comme sur le grand huit, tout se mélange ...", qu'il y a des "passages de relais", mais aussi qu'il existe des "moment(s) de parfaite communion" et qu'il faut "en faire provision, pour (s') en gaver, pour en faire de la graisse toute douce et chaude quand la disette viendrait".
Il faut les garder au creux de soi ces "moments chocolat", les conserver "gravés dans (son) cœur, dans (ses), veines, dans (sa) vie jusqu'à ce qu’(on) regagne (nous) aussi, le monde des âmes vagabondes".
Tu le sais, Sophie, toi qui t'es livrée à cette "curieuse activité solitaire", qu'"un romancier ne peut jamais être son lecteur".
"le lecteur en sait plus long sur un livre que le romancier lui-même".
Et parce que nous sommes amies, j'en sais, peut-être, plus long encore.
Mais dans l'amitié, comme en bien d'autres matières, nous sommes chacun débiteurs et créanciers, de ces secrets glissés entre les lignes, mais aussi de la franchise qu'exige ce lien qui nous unit.
Je ne trahirai pas.
Ce roman est inspiré et adressé à la "jeunesse", et c'est bien là le premier signe de respect que bon nombre d'auteurs devraient songer à marquer envers le lectorat auquel ils croient pouvoir s'adresser, mais aussi envers eux même.
Ton écriture a pour cette jeunesse le respect dû à tout lecteur, et encore plus peut être à ceux qui, débutant dans ce vice, doivent être guidés avec intelligence et exigence.
Ceux-là même qui doivent être "apprivoisés"
Il ne leur est rien épargné des souffrances et des impuissances face auxquelles la vie nous place, quel que soit notre âge : la mort, le deuil, la marginalisation, la bêtise crasse de ceux qui nous enseignent parfois, la colère, le découragement, l'envie de chevaucher « l'aigle des rêves »....
Oui, mais aussi, les grands mystères qui l'occupent : l'amitié, l'amour, la révolte, et évidemment "et Dieu tant tout ça " ?.
Les jeunes lecteurs doivent apprendre bien tôt que les vrais livres sont ceux qui nous aident à mieux vivre, quel que soit notre âge.
Aucune facilité dans les mots choisis, du respect nourri de la lectrice que tu as toujours été, de ces grands amis que tu n'as jamais rencontrés, certains morts avant ta naissance, qui t'ont écrit pourtant tant de fois à travers "ces petits pavés de chairs", que tu transmets à ton tour.
"la lecture est une amitié"
Je termine cette lettre comme nous nous sommes rencontrées : sur un point de désaccord.
Ni puce, ni vaccin, ni collier : "un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l'une ni l'autre, et finit par perdre les deux".
Et je crois que si l'on avait demandé son avis au peuple félin, il n'aurait jamais accepté aucun de ces sacrifices et ne serait pas aujourd'hui une horde "domestique."
"Cette histoire est vraie, puisque je l'ai inventée", épilogue de ton livre, mais aussi préface d'un nouveau chapitre de cette vie que tu t'inventes parce que si "on meurt plus vite quand on n'a plus envie de vivre", je sais qu'aujourd'hui comme à 15 ans, tu veux "aimer, rire, danser, chanter", et aussi écrire.
Et in arcadia ego.
PS : à ceux qui m'ont lue jusqu'au bout, je voudrais préciser que Sophie ne m'a pas envoyé son livre. Je suis allée, avec la plus grande fierté (comme si j'y étais pour quelque chose....), le commander chez mon libraire, à qui j'ai glissé, telle cette poule d'Odette, "l'auteur est une amie", et comme chacun sait : "la véritable amitié commence quand on visite quelqu'un sans raison : sans rien avoir à lui dire et surtout sans rien avoir à lui demander ".