Les jouets vivants de Jean-Yves Cendrey
Ma rencontre avec ce roman:
Une émission littéraire dont Jean- Yves Cendrey était l’invité. L’envie immédiate de lire cet écorché vif, rebelle qui ne
semble écrire qu’avec son sang. Ce livre parce qu’il est le plus autobiographique, celui dans lequel J-Y. Cendrey rouvre les cicatrices palpables dans tous les autres.
L’auteur, ce que j’en sais :
Jean-Yves Cendrey est né en septembre 1957 d’un père adjudant alcoolique dément et violent et d’une mère inapte à protéger
ses deux fils. Enfance meurtrie ballottée au gré des internements psychiatriques et des mutations de son militaire de père ; adolescence flirtant gaiement avec la délinquance. En 1985, il
rencontre la littérature au travers un roman qu’il a volé : Quand au riche avenir. Il écrit à l’auteur, Marie N’Diaye, lycéenne surdouée et timide, elle lui répond, ils se rencontrent, s’aiment,
se marient et ont 3 enfants. Après l’élection de Nicolas Sarkozy, J-Y Cendrey et Marie Ndiaye quittent la France et s’installent à Berlin.
L’histoire, ce que je veux en dire :
Le livre s’ouvre sur une lettre au père, véritable déclaration de guerre, pétri de colère, de rage, éclairée par la lumière
crue d’une lucidité sans fards. Cette lettre annonce la volonté d’une autobiographie radicale dans laquelle l’auteur ne s’accorde aucune forme de complaisance. La deuxième partie du livre
présente l’auteur et sa famille , leur installation dans ce village normand. Une troisième partie relate comment il se retrouve confronté, au sein même de l’école de ses enfants, à un instituteur
pervers et pédophile, comment devant cette provocation lancée par l’existence, J-Y.C conduira lui-même le criminel à la gendarmerie, bravant le silence qui le protégeait depuis 30 ans.
Mon avis sur la question:
J’ai personnellement très sincèrement peur des lieux communs, des poncifs ou autres sophismes burlesques dont on use pour
justifier des actes ou des idées. Je crois qu’ils sont la nourriture de la bêtise la plus noire car toujours bien pensante. Ici, J-Y. Cendrey nous bouscule et interpelle: « quelles sont ces
circonstances dans lesquelles des gens paisibles et respectueux deviennent des salopards » .
Depuis 30 ans dans ce « village de la honte », des gens souvent parents
même des victimes, préfèrent le secret pour éviter le scandale de l’obscène abjection de la vérité. La lettre au père qui
ouvre le récit nous permet de comprendre comment le vitriol refait surface dans les veines et la plume de J-Y.Cendrey : il sait la brûlure, il voit lorsqu’on défigure et consume petit à petit de
l’intérieur ces enfants qu’il ne pourra lui, que défendre envers et contre tous. Entre la négation et la haine, J-Y.C a choisi la haine. Les enfants eux- mêmes pourraient-ils s’en sortir, une
fois même les faits reconnus et le coupable confondu, s’ils n’opèrent pas eux aussi ce choix, ce droit à la haine?
Au royaume des victimes, J-Y. Cendrey est le héros. Il interroge encore, « est-il un chevalier blanc, protecteur des enfants
? Ou bien sa manière est-elle la plus simple du monde »?
Ce livre nous questionne sur notre propre propension à ne pas voir la meurtrissure des petits, des faibles, à enfiler des
masques de bienséances, et finalement à nous rendre complices. Ce livre m’interpelle aussi sur la qualité rédemptrice de la haine. Je suis intimement convaincue qu’elle peut, telle une perche
tendue, sortir les enfants martyrs de l’eau nauséabonde dans laquelle leur bourreaux les avaient enfermés puis regardés ce noyer, je doute que sa portée soit assez grande pour les sortir de
l’aquarium sur la vitre duquel ils s’usent encore les ongles. Pouvoir respirer suffit-il à être libre?
L’image qu’il me restera de ce roman:
Un rite primitif, une procession des plus belles vierges que l’on s’apprête à sacrifier dans un cratère pour les offrir au
dieu volcan afin de s‘en attirer les bonnes grâces.
Une phrase qui donne le ton:
« écrire, pour remuer les gadoues, tordre les cous, se payer du rire à la régalade, ne jamais lâcher et puis en douce,
s’émerveiller, s’extasier d’aimer d’amour même quand on a vécu pour la guerre et la guerre seule, se pincer, pour être sûr qu’on est aimé, quand on s’est tellement plu à ne prôner que le désir,
et à moquer l’amour, à le jouer par des tricheries sans nombres. »
Le roman en 3 mots :
-Brûlure
-Vérité
-Vitriol
Le mot de l'éditeur :
Au fil d'une virtuose et rageuse Lettre au père, Jean-Yves Cendrey évoque les violences qui ont dévasté sa jeunesse. Il puisera dans cette douleur, bien des années plus tard, la force de
confondre un instituteur pédophile. Le jour des obsèques de son père, Jean-Yves ira dans un autre cimetière. Là, parmi les tombes, il choisira un nom, et il lui confiera la chronique du " village
de la honte ". Celle de drames coulés dans l'oubli par ceux qui auraient pu intervenir.